les idées qui font des petits!

Je vais l’asséner sans ambages, d’une façon un peu bête et méchante : « pas grand chose ». A mon sens, c’est une expression assez aléatoire, probablement idéologique, forgée dans l’arène politique suite à des conférences environnementales. Ceci ne signifie pas qu’elle soit dénuée de toute utilité puisqu’elle a permis d’enclencher de nombreuses réflexions sur des questions cruciales. Je ne vais pas exposer la genèse du concept, je me contenterai dans le cadre de cette contribution uniquement de citer la définition standard communément retenue dans la littérature, mais l’expression est loin d’être univoque.

Si je reprends les mots du Rapport Brundtland « our common future » (1987), la définition communément admise est la suivante : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans corrompre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».

Tout d’abord, le terme « besoin » n’est pas objectif. Celui-ci est fonction du niveau de richesse d’une société. En Europe rouler en Lada est une misère, en Afrique cela signifie avoir un certain niveau de vie. La voiture a remplacé le cheval…La notion de « besoin » est fonction du niveau de complexité d’une société. Dans l’absolu, posséder un portable ou une voiture n’est pas un besoin. Pourtant, il est difficile d’évoluer à l’aise dans les sociétés modernes sans ces deux outils. Notion relative donc. Certes, nous devons nous nourrir et avoir un toit me rétorquera-t-on. Très bien, mais où ces besoins s’arrêtent-ils et où commencent-ils ? …

Ensuite, le terme « durable » ou « soutenable », traduit de l’anglais « sustainable » est tout simplement en contradiction avec le Réel, ce qui est. Rien n’est durable, la Vie n’est pas durable, du moins pas si ce terme est synonyme d’éternité, de roc, de certitudes. Tout est impermanent, cela les philosophies orientales l’ont compris depuis la nuit des temps. D’un point de vue physique, la fixité est synonyme d’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire de mort entropique. L’équilibre, c’est la mort. La Vie est flux, processus, impermanence foncière de toute chose. Le rocher, l’arbre, le lac, le sol, vivent ! La Vie crée de l’ordre au prix d’une augmentation du désordre extérieur. Elle se nourrit d’un flux d’énergie qu’elle extrait de son environnement et modifie celui-ci en retour, irréversiblement.

On pourrait alors parler de mesure : « c’est la dose qui fait le poison » dit le dicton. Un développement dit « durable » correspondrait alors, d’un point de vue physique, à un système thermodynamique ouvert (une économie en est un) qui se nourrit d’un flux entropique qui dégrade l’environnement en dessous du seuil au-delà duquel celui-ci est irréversiblement transformé (« effet de seuil »). Très bien, mais on retombe alors dans le travers, typiquement occidental, qui est de considérer que l’environnement, çàd la Nature, est figée, ce qui est totalement faux, comme je viens de l’expliquer. D’autre part, il est impossible de déterminer a priori les points critiques, çàd les point de basculement d’un système complexe. La Vie se complexifie par palliers, avec des effets de seuils…

Il faudrait alors plutôt parler de « co-évolution » entre l’homme et son milieu. Un développement « durable » serait alors, selon cette définition, « un développement harmonieux entre l’Homme et son milieu ». Que nous voilà bien avancé…

Mettons de côté les aspects techniques et allons au cœur du problème, dont les racines sont philosophiques. Il faudrait considérablement allonger cette contribution pour expliquer que le terme « développement durable » émerge d’une vision du monde anthropocentrée. Prenons un raccourci et contentons-nous de dénoncer la grande et horrifiante illusion : « l’humanité, l’homme (petit « h »), n’est pas la mesure de l’Univers ». L’homme, l’humanité, n’est rien. Ce n’est qu’un grain de poussière dans un Univers en expansion constante. La biosphère, pas plus que la Vie, n’est à notre service. Nous ne maîtrisons pas la Vie, la Nature. Et d’ailleurs, nous ne sommes pas en dehors d’elle, nous sommes elle, nous émanons d’elle. La Terre n’est pas un objet qui se plie à nos désirs. On voit là bien l’héritage de la métaphore du jardin d’Eden dont l’homme serait le gardien.

Cette plongée abyssale dans le non-être nous laisse encore un peu plus perplexe, j’en conviens. Car comment donner une direction à notre existence, faire sens face à ce qui nous arrive. Dieu et le diable sont une seule et même personne, il ne nous a pas fourni le mode d’emploi. Nous voici donc renvoyé face à face à notre angoisse existentielle. La « crise écologique » nous rappelle à notre finitude, à notre mortalité. Nous sommes tentés de penser que nous avons une importance, que la Vie se soucie de notre Avenir. Nous nous fourvoyons, la Vie n’en a cure de notre espèce, elle réussira bien à se perpétuer, quel terrible orgueil que de croire que nous la maîtrisons, lui importons, pouvons la détruire, en disposer à notre guise…

Pour répondre à la question posée, à savoir, qu’est-ce qu’un « développement durable », il va donc nous falloir ravaler tous nos orgueils. Car ne nous trompons pas de débat, ce n’est pas la planète qui est sur le grill, c’est notre espèce. La question juste, plus pragmatique, est donc : comment allons-nous survivre à ce siècle ? Avons-nous la capacité d’infléchir notre trajectoire, un libre arbitre, etc. On en revient aux questions fondamentales…

L’idée est de tuer tous les idéalismes, sans quoi on se condamne à réagir plutôt qu’à agir. Mais surtout, l’idée est de comprendre qu’il n’y a pas « Une Vérité », mais « deS Vérités ». Il n’y a pas « un chemin », il y a « des chemins ». Il importe donc de nous interroger sur notre projet, sur la finalité de ce que ce que nous faisons. Il faudrait, ultimement, remettre du sens au cœur du processus « humanité ». Durer pour durer n’a aucun sens. Il faut savoir pourquoi nous sommes là. C’est à chaque homme qu’il revient de trouver sa vérité. Alors peut-être aurons-nous un développement « durable ».

Car, quelles que soient les défis auxquels nous sommes confrontés, la question demeure identique : « qu’est-ce qu’une bonne vie » ? Une bonne vie n’est pas durable, elle est au service de la Vie, elle participe à elle, et c’est probablement tout ce qui importe.

Au final, c’est bien à une réflexion sur notre finitude, et donc sur la mort, que nous invite à réfléchir l’impasse entropique. La mort n’est peut-être qu’une illusion, qu’il nous faut transcender. Peut-être aussi que la crise actuelle est le ferment d’une nouvelle émergence, un processus touche à sa fin et amorce quelque chose de nouveau. L’Histoire ne rampe pas, elle progresse par bond, selon la vision de certains historiens.

J’espère juste avoir démontré dans le cadre de cette humble contribution que personne ne sait à l’heure actuelle ce que signifie le terme « développement durable ». Peut-être sommes-nous tout simplement sur une fausse piste, à la recherche de fausses certitudes. Peut-être…l’incertitude est la norme, la certitude l’exception, commençons par reconnaître cela.

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