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STEADY STATE 1 : limiter l’utilisation des ressources et la production de déchets

A) Mettre des limites à l’utilisation des ressources

 

Rentrons dans le vif du sujet avec ce premier billet sur l’économie stationnaire (ES) consacré à la limitation de l’utilisation des ressources et de son corollaire, la production de déchets. Premièrement, les économistes « écologistes » proposent de fixer des quotas à l’utilisation des ressources naturelles en fonction des connaissances scientifiques à l’instant t et du type de ressource. A cet effet, il est fréquemment fait référence aux trois principes d’Herman Daly :

  1. limiter l’utilisation d’une ressource dans la proportion où les déchets qu’elle génère peuvent être absorbés par les écosystèmes
  2. Exploiter une ressource renouvelable (e.g. une forêt) à un taux qui n’endommage pas la capacité d’un écosystème à régénérer le stock de cette ressource
  3. Exploiter une ressource non-renouvelable (e.g. les énergies fossiles) à un taux qui n’excède pas le taux de développement de substituts

Ces limites doivent être imposées graduellement pour laisser le temps à la société de s’adapter.

B) Contrôle et gestion efficace des quotas

Ensuite, il s’agirait de contrôler et de gérer l’input de « capital naturel » dans le processus économique en généralisant l’utilisation du système de comptabilité de l’utilisation de ressources de l’ONU (United Nations Integrated Environmental and Economic Accounting system). Ce système tient compte de l’impact de l’environnement sur l’économie (input de matières premières) et vice-versa (rejet de déchets). Il tient compte des éléments suivant :

  1. Les flux de pollution, d’énergie et de matériaux ;
  2. Les Dépenses pour la protection de l’environnement et la gestion de ses ressources ;
  3. La comptabilité des stocks de ressources : poissons, forêts, eau, minéraux.
  4. L’évaluation économique des flux non-marchands et l’ajustement des agrégats (ex : le PIB) en fonction de leur impact sur l’environnement : dépletion des stocks de ressources non-renouvelables, dépenses défensives (coûts pour réparer les dégâts environnementaux engendrés par l’activité économique. Par exemple, le coût de nettoyage d’une marée noire), la perte de bien-être résultant de la dégradation environnementale.

Pour être efficace, ce système doit tenir compte de l’impact environnemental ET social de la limitation de l’utilisation d’une ressource. Ses effets directs, par exemple, la diminution de la consommation de bois, et indirects, par exemple, l’utilisation de substituts suite à des changements de comportements de consommation, doivent être détectés.  Un exemple sera plus parlant : si la consommation de ressources fossiles diminue, c’est en soit une bonne nouvelle. Mais si cette baisse de consommation est compensée par la mise en culture intensive de biocarburant menant à une hausse des prix alimentaires (l’offre alimentaire se réduit) et à une érosion de la biodiversité accélérée (déforestation de la forêt amazonienne), l’impact total de cette réduction est négatif !

Idéalement, ces quotas devraient être imposés d’en haut alors qu’il reviendrait aux communautés locales la mission de gérer aux mieux les ressources en fonction de ces quotas.

C) Distribution équitable des ressources et gouvernance

 

C’est ici que le débat devient le plus intéressant. Le marché est habituellement vu comme l’instrument capable d’allouer une ressource rare efficacement. Toutefois, ce résultat n’indique rien par rapport à la distribution de cette ressource. Elle peut-être parfaitement inéquitable, ce qui dans un monde aux ressources finie peut très vite exacerber les tensions. Ceci est bien entendu un argument en faveur d’une distribution plus équitable des ressources (l’objectif de soutenabilité englobe également la dimension sociale). Les « steady staters » (nom d’une personne en faveur de l’économie stationnaire) suggèrent que la distribution des ressources devrait être définie par rapport à ces quatre droits inaliénables :

1.      Le droit à un environnement sain et sûr ET la responsabilité de le maintenir en l’état ;

2.      Le droit a une part « juste » des ressources naturelles

3.      le droit d’avoir accès à l’information concernant l’environnement et à participer au processus de décision le concernant

4.      le droit de ne pas souffrir de façon disproportionnée des problèmes environnementaux ou des effets des politiques environnementales

 

Il est question ici de « Justice environnmentale ».

D) Quelques outils pour limiter l’utilisation d’une ressource :

 

Plusieurs instruments existent pour limiter l’utilisation absolue d’une ressource naturelle :

1.      une interdiction pure et simple

2.      la taxation de son utilisation (fiscalité écologique)

3.      le rationnement individuel : chaque personne reçoit un quota maximum d’utilisation d’une ressource

4.      Une limite, sous forme de quota, à l’utilisation d’une ressource, est définie. Ensuite, ce quota est distribué équitablement, sous la forme de permis, aux industries qui l’utilisent. Chacune d’elle est libre de vendre une part de son quota ou d’acheter un part des quotas d’autres industries sur un marché (ex : le marché européen de CO2)

5.      Une limite, sous forme de quota, à l’utilisation d’une ressource, est définie. Ensuite, ce quota est distribué équitablement, sous la forme de permis, aux citoyens . Les industries doivent alors acheter ces permis aux citoyens pour utiliser la ressource.

E) Débat

 

1) limites écologiques inconnue et substituabilité des types de capitaux

Les deux premiers points sont relativement consensuels, du moins dès lors que l’imposition de quotas se fait progressivement. En fait, les économistes écologistes optent clairement pour le Principe de Précaution en situation d’incertitude : « in the face of uncertainty we should better err on the side of caution ». Ensuite, il faut noter que la détermination de limites écologiques à priori est une tâche particulièrement difficile. Ici, la question est plutôt de savoir si le stock de capital naturel est maintenu constant. On retrouve au cœur de cette problématique une opposition récurrente avec le paradigme dominant en économie (la théorie néoclassique) qui pose comme hypothèse la substituabilité entre le capital naturel et le capital technique (les machines) et humain. De ce fait, la question de la déplétion du capital naturel est évacuée puisque c’est le stock total de capital qui importe. Autrement dit, si je détruit une forêt mais que cette destruction est accompagnée d’une création au moins équivalente de capital technique et naturel , j’ai fait une bonne opération au sens économique du terme (je mais ici de côté les questions portant sur la monétarisation de la valeur d’une forêt, l’objet d’un autre débat; voir mon article: « Sommet de Nagoya: au coeur des enjeux de la protection de la biodiversité« ). Au contraire, l’économie écologique pose la complémentarité des types de capitaux. Autrement dit, si le stock de capital naturel équivaut à zéro, il n’y a plus d’économie. Cette théorie pose donc l’interdépendance de l’économie et de l’environnent comme hypothèse alors que la théorie dominante postule dans son essence que l’économie est indépendante de l’environnement. Dans ce second paradigme, une ressource n’a de valeur économique que dès lors qu’il peut être utilisé dans le processus économique, la théorie dominante ne reconnaît aucune valeur intrinsèque à l’environnement.

 

Ce paragraphe est capital car il permet de comprendre l’origine de la crise environnementale. La théorie économique dominante est dépassée car elle n’intègre pas les acquis des deux dernières révolutions en sciences exactes : la thermodynamique et l’évolutionnisme (voir mon article:  « Transition eco-énergétique: en route vers le monde postindustriel« ). Je me suis déjà longtemps étendu sur le sujet (voir mes articles: « Transition écologique: reformater la pensée occidentale« et « Croissance Verte: nouveau mythe?) donc je ne vais pas poursuivre, mais il est capital de comprendre que l’économie est un système thermodynamique ouvert, c’est-à-dire qui échange de la matière et de l’énergie avec l’environnement. Ceci implique que l’économie est dépendante de l’environnement, sa survie est conditionnée par le maintien d’un environnement qui lui fournit ce dont elle à besoins (services écosystémiques e.g. régulation du climat, séquestration de CO2, filtration de l’air et de l’eau, régulation du climat, etc), flux de matière et d’énergie). Sans environnement, pas d’économie. Posez vous cette question : pensez-vous pouvoir survivre sans eau ni nourriture ?

 

2) Distribution équitable des ressources et droit de propriété

Le troisième point portant sur la distribution équitable des ressources pose davantage problème car il touche à la pierre angulaire des sociétés capitalistes : le droit de propriété. Une redistribution équitable de cartes semble utopique dans le contexte actuel. En attendant, nous pourrions commencer par identifier les activités intensives en ressources et les limiter. En outre, j’aime la réflexion de Tim Jackson lorsqu’il dit qu’entre les deux régimes de propriété que nous connaissons, public et privé, il y a toute une gamme de gris qui pourrait-être inventée. Ici s’ouvre un vaste chantier pour la réflexion.

Reste que la problématique de la distribution équitable pourrait être moins sensible qu’on le pense dans une économie stationnaire puisque ce modèle implique de stabiliser la population, l’objet de mon prochain billet sur le sujet.

3) Powerdown avant Steady?

Des critiques, Richard Heinberg par exemple, le pape de la décroissance, indiquent que l’objectif de stabilisation de la taille de l’économie dans des limites écologiquement viables suppose avant tout la décroissance de notre économie. Sur le site du Postcarbon Institute (dont Richard Heinberg est un des fondateurs), on peut trouver un passage d’un article de Joanne Poyourow qui exprime très bien cette critique:

« Daly and his Steady State Economy poses a nice idea: we understand that the presumption of perpetual growth won’t work, so instead of growth, let’s keep it steady. We don’t have to grow; we’ll just create a nice steady plateau, right where we are now.

But right now we’re at five-planets-worth-of-consumption.

Hmmm, Daly conveniently overlooks that part. We cannot expect to maintain a steady state economy at present levels because present levels are deep into planetary overshoot. That means we must phase back quite a bit before we establish that steady plateau. »

La courbe de descente d’énergie d’Holmgren illustre superbement ce débat (voir aussi mon article « An inconvenient Truth II« )

Quelle courbe allons nous suivre d’après-vous?