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Archives de 4 décembre 2011

Risque d’éclatement de la zone Euro: quelle solution de long terme?

Cet article est destiné à intégrer un livre que je suis en train de rédiger. Le timing de publication est crucial et il est possible que mon bouquin, s’il doit être un jour édité, soit « hors délai ». Dès lors, chers lecteurs, je vous soumets en avant première ce qui n’est à ce stade qu’un premier jet et une petite partie d’un texte plus global sur la thématique de la transition énergétique.

Les finances des Etats sont sorties exsangues de la crise financière de 2007. Dans un contexte de ralentissement de la croissance, hormis la monétisation de la dette, la seule option qu’ont les Etats pour ne pas faire défaut est une hausse des taxes ou une diminution des dépenses. Ces deux options risquent de pénaliser la demande et de renforcer la spirale dépressive dans laquelle l’économie s’enfonce. En d’autres termes, ces options sont procycliques. Dès lors, une question se pose : dans un contexte de croissance morose, comment les Etats vont-ils financer la transition ?


Idéalement, la politique budgétaire d’un Etat devrait être contracyclique. Ceci signifie que l’Etat doit relancer la machine économique en période de crise en s’endettant, ce qui creuse le déficit, et dégager des surplus en période de prospérité, ce qui suppose une réduction du déficit. La doxa libérale cherche à diminuer la place de l’Etat pour restaurer la marge de manœuvre des entreprises et faire baisser le taux auquel l’Etat s’endette. La doctrine keynésienne cherche quant à elle à accroître la demande des ménages et les commandes publiques pour relancer la machine économique par la demande. C’est le fameux « multiplicateur » keynésien. Dans une économie globalisée, l’impact du multiplicateur est faible puisqu’une part importante des liquidités injectées dans la demande sera utilisée pour importer des biens étrangers. Selon des études récentes, l’effet multiplicateur équivaut à 0,44% : une augmentation de 1% des dépenses publiques n’augmente le  PIB que de 0,44%. Le remède de cheval des libéraux touche en priorité les plus faibles et, surtout, il hypothèque le rôle de l’Etat. La méfiance des libéraux envers l’Etat se justifie si on sait que le politique est structurellement incapable de dégager des surplus en période croissance de l’économie. Mais il n’est pas certains que les entreprises disposent des fonds suffisants pour financer les investissements pour opérer la transition énergétique vers une société bas carbone. D’autre part, les infrastructures concernées sont des biens communs. Par conséquent, une intervention de l’Etat, un gros joueur, est nécessaire.

Idéalement, il faudrait lancer de grands travaux de modernisation du capital visant à le « décarboniser » ou à investir massivement dans de nouvelles infrastructures bas carbone. On pense directement aux énergies renouvelables, à l’isolation des bâtiments, à la rénovation des infrastructures ferroviaires, etc. Bref, une sorte de « Green New Deal ». La référence implicite au New Deal de Roosevelt n’est pas innocente, je parle bien ici d’un effort de guerre.

Le problème est que la dette des Etats occidentaux réduit considérablement leur marge de manœuvre. Leur taux d’endettement a dépassé des sommets, il leur devient impossible de financer la modernisation de ces infrastructures. Peu importe qu’ils choisissent d’utiliser des ressources internes, un partenariat public-privé, ou de passer un marché public, ils ne disposent pas des fonds nécessaires.

Partant de ce constat, je dois confesser cette désagréable impression que  les économies des prétendus maîtres du monde (USA, Japon, France, Grande-Bretagne) sont dans un cul de sac. Pendant ce temps la Chine monte en puissance et affiche une santé financière outrancière. On est en droit de penser que des Etats vont faire défaut, ce qui ne serait pas une première historique. Les politiques d’austérité imposées un peu partout en Europe peuvent déboucher sur une Grande Dépression 2.0 dont le monde ne se remettra pas. A l’heure où j’écris ces lignes, la possibilité d’un éclatement de la zone euro est bien réelle. Les marchés anticipent rationnellement un défaut des Etats surendettés, ce qui a un effet procyclique : les taux montent, ce qui augmente encore un peu plus le risque de défaut des Etats dans le collimateur des marchés. Les marchés ont un comportement moutonnier, ils exploitent une faille structurelle du système poussant de fait celui-ci vers l’implosion.

Les Etats signataires du Traité de Maastricht ont enfermé les politiques budgétaires nationales dans un carcan de contraintes budgétaires rigoureuses. Premièrement, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) impose une limitation du déficit à 3% du PIB et un taux d’endettement de maximum 60% du PIB. Ces chiffres sont purement arbitraires, il n’y a aucune théorie optimale de la dette. Une entreprise saine est endettée. La dette n’est pas mauvaise en soi si elle finance des investissements productifs.

Deuxièmement, la clause de « no bail-out » (non renflouement) de l’article 103 du Traité exclut la prise en charge de la dette publique par d’autres Etats membres. En clair, un Etat présentant des excédents ne peut pas les prêter à un Etat déficitaire. Or, les déficits de l’un sont les excédents de l’autre. Comme l’écrit Réginald Savage[1] : «  On peut établir un parallèle avec la volonté affichée des classes dirigeantes allemandes d’imposer à l’Europe entière son modèle néo-mercantiliste d’hyper-compétitivité et de « tout à l’exportation ». Ceci est évidemment absurde, incohérent et auto-destructeur – tout le monde ne peut pas être plus compétitif que ses voisins et tous les pays ne peuvent être simultanément excédentaires dans leurs relations commerciales extérieures. En un sens, le modèle allemand – qui exporte du chômage chez ses voisins européens – est un modèle masqué de protectionnisme par la déflation salariale et la restriction induite de la demande intérieure (limitation des importations), modèle qui s’autodétruirait s’il se généralisait. Le libre-échange actuel en contexte de volatilité des taux de change et de guerre monétaire n’est ainsi en finale qu’un protectionnisme déguisé et dévoyé en faveur des acteurs économiques et financiers les plus puissants et donc confortant les structures transnationales dominantes existantes ». Ceci se vérifie empiriquement puisqu’on peut distinguer deux groupes distincts d’Etats en Europe : les excédentaires, dont le fer de lance est l’Allemagne, et les déficitaires dont la « locomotive » est la Grèce. Mais le tableau est plus nuancé, la gouvernance de certains Etats doit clairement être mise en cause. Par exemple, le berlusconisme n’a pas fait que du bien à l’Italie et la Grèce a trafiqué ses finances pour rentrer dans l’Union. Ces deux pays obtiennent le plus mauvais score parmi les Etats de l’Union en ce qui concerne la corruption  (Aghion et al. 2010)

Troisièmement, l’article 104 du Traité interdit les Etats de se refinancer auprès de la banque centrale européenne (BCE). L’histoire économique nous a appris que les Etats étaient trop enclins à faire tourner la planche à billet lorsqu’ils disposaient du droit souverain de battre la monnaie. Ces précédents historiques expliquent pourquoi la politique monétaire a été confiée à une banque centrale indépendante.

 En l’absence d’une véritable gouvernance macroéconomique dans l’Union monétaire, ces mécanismes visent à s’assurer que les Etats surveillent leurs finances et à éviter le problème classique de « hasard moral ». En effet, tous  les Etats de la zone euro sont dans le même navire, si l’un d’eux dérape, les autres doivent intervenir. Or, la garantie que les autres Etats interviennent en cas de dérapage budgétaire n’incite pas à la prudence. Dès lors, et ce même si on peut s’en offusquer, soumettre les Etats à la tutelle des marchés était un choix cohérent. Remarquons tout de même que ceci s’est fait avec l’assentiment des Etats. Pointer que les Etats subissent « la dictature des marchés » et des « technocrates » est un contresens historique. Le cœur du problème est, selon les uns, que les gouvernants ont perdu toute crédibilité ou, selon les autres, que l’intégration européenne doit être poussée jusqu’au point où les finances de tous les Etats soient mutualisées, ce qui créerait une solidarité de fait entre tous les Etats et un « Super Etat » fédéral. Mais comme dit le proverbe : « no tax without representation ». Une mutualisation des dettes présuppose une communauté politique, c’est la condition sine qua non pour créer une solidarité de fait, inconditionnelle, entre les peuples européens. On en est loin. L’Europe s’est toujours construite pas à pas, une mutualisation des dettes représenterait un pas de géant. Les peuples ne sont pas prêts pour ça, mais il est possible que la crise souveraine conduise les européens dans cette direction. A mon sens, ceci est prématuré. Mais les institutions ne font-elles pas les peuples ?

 Si aujourd’hui les Etats sont endettés,  c’est aussi en partie à cause du sauvetage des banques. En l’absence d’une mutualisation des dettes, un Etat devrait pouvoir se refinancer directement à la BCE, à un taux nul, pour financer la transition. Les cris d’orfraies de certains économistes à l’évocation de cette idée cachent mal les intérêts corporatistes des Etats qui profitent de la situation actuelle. A court terme, dans un contexte de déflation et de hausse du chômage, la création monétaire ne peut que créer de l’activité et enrayer la contraction de la masse monétaire. Le problème réel empêchant le recours à la monétisation de la dette n’est pas le risque d’inflation mais le fait que les partenaires de l’union monétaire sont méfiants l’un envers l’autre, ce qui est légitime puisque les faux pas des uns ont une répercussion sur les autres. Dans un contexte de croissance plombée, soit on restructure les dettes des Etats d’une façon coordonnée, soit on monétise la dette, soit on annule la parité fixe entre les Etats, ce qui signifierait de facto un éclatement de la zone euro ! Une restructuration peut avoir un effet systémique sur les banques et un éclatement de la zone euro signifierait le début d’une « aventure » dont les conséquences sont difficiles à évaluer. A mon sens, la meilleure option est l’inflation. Je suis loin d’avoir l’exclusivité de cet avis ; Par exemple, le prix Nobel d’économie Paul Krugman défend cette option.  Mais cette inflation doit être produite intelligemment, de telle sorte qu’elle bénéficie à la collectivité, c’est pourquoi je propose d’utiliser la planche à billets pour financer la transition. Cette option permettrait de la rendre acceptable socialement. D’autre part, on constate que les liquidités restent bloquées dans les banques. Le crédit est bon marché  mais les banques ont peur de prêter aux particuliers. Surtout, ceux-ci rechignent à s’endetter car ils anticipent une hausse des impôts pour résorber la dette publique (« effet ricardien »), ce qui est parfaitement rationnel d’un point de vue strictement  individuel.

La BCE pourrait (et devrait) abaisser son taux directeur au plancher, mais il n’est pas certains que ces liquidités trouveraient le chemin de l’économie réelle. Un financement direct des Etats auprès de la banque centrale présenterait ce double avantage d’injecter de l’argent directement dans l’économie réelle et d’effectuer des investissements ciblés. Pour éviter les problèmes de confiance entre les partenaires de l’Union et que les Etats utilisent cet argent à d’autres fins qu’à la transition vers une économie bas carbone, la banque européenne d’investissement (BEI) pourrait conditionner l’octroi des liquidités au respect de certaines règles. A cet égard, la destination de l’argent est essentielle. Enfin, il est évident que ce « Green deal » suppose le recours à des marchés publics, européens, transparents et garants d’une réelle mise en concurrence. Cette mise en concurrence est la garantie que l’argent soit utilisé pour payer le meilleur candidat au meilleur prix, en garantissant une égalité de traitement. On pourrait d’ailleurs imaginer une dynamique en deux temps ou chaque Etat négocierait ses priorités avec la BEI, moyennant assentiments de ses partenaires, après quoi les entreprises proposeraient leur candidature pour les projets retenus. La BCE prendrait soin de contenir l’inflation dans une limite acceptable et, surtout, à garantir sa stabilité, condition essentielle pour stabiliser l’économie. En pratique, si la création monétaire représente la valeur des infrastructures, il n’y a aucune raison pour que l’inflation ne soit pas sous contrôle.

 Donc, pour résumer, l’eurozone ne sortira pas de la crise sans une intervention du politique car les marchés ont un effet procyclique : ils poussent le système vers l’implosion. Dans un contexte de croissance morose, à moins d’une improbable mutualisation des dettes qui calmerait les marchés et déboucherait sur une diminution  des taux, une restructuration coordonnée des dettes périlleuse ou un éclatement de la zone euro, il nous faut produire de l’inflation. Le moyen le plus efficace et le plus intelligent pour le faire est de modifier l’article 114 du Traité de Maastricht pour que les Etats puissent se financer gratuitement et directement à la BCE. Néanmoins, ces liquidités doivent être utilisées au bénéfice de la collectivité afin de financer la transition vers une économie bas carbone, c’est la seule solution pour éviter  le dilemme de la croissance et pour que l’inflation soit acceptée socialement. Si le politique se contente d’arroser l’économie sans opérer des investissements sélectifs, nous créons les conditions idéales pour une crise de l’énergie à contre-rebours qui sera peut-être encore plus fatale que la crise de 2007. Le triste vocable de « Grande Dépression 2.0 » fera alors son apparition au banc des drames de l’histoire.


[1] Reginald Savage, « La néo-protectionnisme, voie royale d’une démondialisation heureuse ? », Politique, n°71, septembre – octobre 2011