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Archives de 6 juin 2010

Réussir la transition écologique : au cœur des enjeux de la Révolution Verte.

Une force politique monte partout en Europe : les verts. Après la révolution industrielle, la révolution sociale, la révolution écologique est en marche. Et pourtant, est-ce vraiment le cas ?

Partout, on entend parler de croissance, de croissance « verte » parfois, certes, mais de croissance néanmoins. Et ce n’est pas la crise économique qui vient démentir ce constat, on ne parle que de « relance par la croissance ».

Le terme « révolution » à une connotation radicale car il suppose des changements en profondeur d’un système, une rupture. Ici, c’est notre modèle économique qui est l’épicentre de la tourmente verte. Le constat est là, irrévocable : la communauté scientifique est presque unanime, si l’humanité poursuit en ce sens, elle va à sa perte. Pour la première fois donc, se pose la condition de notre survie. Ce constat qui nous affecte tous recèle une puissance fédératrice inédite: le problème écologique concerne l’humanité toute entière.

La dimension métaphysique du défi écologique recèle probablement la difficulté extrême de son acceptation. Fait inédit de l’ère moderne, nous sommes appelés à penser la finitude du monde : les ressources naturelles ne sont pas extensibles. Or, tout le paradigme économique actuel qui se base sur l’idée de croissance repose sur un déni de la nature humaine : il procède de l’idée que le monde ne connaîtrait point de limites, conception elle-même ancrée dans la croyance que l’esprit humain est infini. Cette conviction donne sa légitimité à l’idée typiquement occidentale que l’homme, à la différence des animaux, serait en dehors de la nature. L’homme serait alors la main de Dieu, l’outil du divin désigné pour mettre de l’ordre dans les affaires du monde. Le constat que nous sommes au sommet de la pyramide alimentaire renforce cette impression : le seul loup pour l’homme est l’homme.

Pourtant, il nous faut convenir que le constat écologique rend ce mode de raisonnement obsolète, inadapté, car il introduit un paradoxe : si la faculté d’autoréflexivité ne connaît pas de limites, est élastique à l’infini, le monde matériel lui, semble fini. L’essence de la révolution verte serait alors qu’il existe une discontinuité entre le monde matériel et immatériel : la croissance de l’esprit se heurterait aux limites du monde fini. L’accepter c’est condamner un modèle économique basé sur une consommation extensible de ressources matérielles finies.

Or, la mouvance écologique dominante qui prône actuellement une croissance verte via la « verdurisation » du capitalisme n’est que l’avocate du paradigme actuel : la relance de l’économie par la croissance verte basée sur les nouvelles technologies. Le raisonnement est celui-là : chaque problème possède sa solution. La recherche et l’innovation technologique vont nous permettre de trouver cette solution. Notre modèle actuel se base donc sur une logique cyclique (problèmes-solutions) extensible à l’infini. Il postule que la crise écologique  (les changements climatiques et la destruction de la biodiversité) sera résolue sans changement de paradigme économique, au même titre que les autres.

L’absurdité de ce qu’il convient à réduire à une croyance (donc irrationnelle) est flagrante tant elle récuse le constat de base des scientifiques qui dans son essence postule que les ressources du monde sont non-extensibles. A ce rythme de croissance économique, il nous faudrait bientôt plusieurs planètes pour que chaque être humain ait accès au niveau de vie des pays riches. D’où ce constat péremptoire : seul un modèle intégrant l’idée de finitude du monde matériel est durable et donc à même de réussir la transition écologique.

La propriété première d’un tel modèle serait de renverser notre rapport à la nature et par là-même deux mille ans de tradition philosophique occidentale en considérant que l’homme n’est pas en dehors de la nature mais au contraire tout en dedans. Au même titre que les animaux, l’homme serait alors soumis aux lois de la nature : sa prétention à être souverain de sa propre existence basée sur le refus de toute loi transcendantale, de toute loi qui lui serait extérieure, s’effondrerait. Ironie, ce contre-mouvement signerait le retour de Dieu par la grande porte : la survie de l’humanité serait subordonnée au respect de la loi naturelle, transcendantale.

Très bien, mais concrètement, comment intégrer cette idée de finitude ?

Le sujet est complexe, il s’articule selon moi autour de deux questions fondamentales : (1) le stock de ressources naturelles se déprécie t-il ?; (2) quel est le degré de substitution entre le capital humain (immatériel) et physique (matériel)?

Cette première interrogation pose la question de l’existence de déchets, dans l’absolu. La notion de « déchet absolu », par opposition à celle de « déchet relatif » est qu’aucun organisme vivant ne serait capable de le recycler, ce qui signifierait que l’adage de Lavoisier « rien ne se perd tout se transforme » se vérifierait mais à cette nuance près qu’une part de la matière transformée contribuerait à diminuer le stock de matière première i.e. le stock de matière utilisable dans un processus biologique ou industriel. Comme exemple, je pense en particulier aux déchets nucléaires. Le cas échéant, de la troisième propriété de Lavoisier « rien ne se crée » découlerait que notre stock organique de matières premières diminue : notre cycle économique fabriquerait des déchets qui ne sont recyclés par aucun organisme vivant.

C’est à ce point précis que la question du degré de substitution entre le capital physique et humain prend toute sa dimension. En effet, s’il y a substitution parfaite (une courbe d’indifférence qui prendre la forme d’une droite avec une pente de 1 pour les économistes), le stock de capital composé du capital humain (immatériel) et physique (matériel) demeure inchangé au cours d’un processus de croissance produisant des déchets. Simplement, la proportion entre ces deux types de ressources se modifie : le capital humain se substitue (nos connaissances) au capital physique (les ressources naturelles).

Cette hypothèse est absurde car si on la pousse à fond, elle signifie que l’immatériel est substituable au matériel alors même que la condition d’existence de l’immatériel, d’un savoir, est subordonnée à celle du matériel. Pour être concret, il nous faut manger pour produire des idées. On le voit, l’hypothèse d’une substitution parfaite du capital humain et physique est biaisée par la conception occidentale qui traditionnellement sépare le corps de l’esprit.

La conséquence d’une substitution imparfaite entre le capital humain et physique, ce qui d’après moi est une évidence, est que la croissance du capital humain n’est pas une parade à la régression du stock de capital physique par la création de déchets. D’où la conclusion qui s’impose : un modèle économique produisant des déchets n’est pas viable à long terme, le long-terme étant ici l’horizon infini. D’où cet enseignement fondamental : il nous faut créer un modèle économique qui ne produise aucun déchet. En effet, si on admet la définition du développement durable (sans entrer dans la polémique sur la traduction controversée du terme « sustainable ». Beaucoup préfèrent la traduction plus littérale de développement « soutenable ») qui est  « un développement qui répond « aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (rapport Bruntland 1987), la seule façon de ne pas hypothéquer les besoins matériels des générations futures est de leur transmettre un patrimoine matériel quantitativement équivalent (pas qualitativement car nous transformons des ressources via nos processus industriels, l’enjeux est de pouvoir recycler tous les bien utilisés), ce qui implique une production de déchets absolus nulle (j’insiste sur le terme absolu, désignant un déchet ne pouvant être recyclé par aucun organisme). On le voit, le cœur du concept de développement durable est l’équité intergénérationnelle. Il pose pour impératif moral que nous devons être solidaires envers les générations futures. Mais plus fondamentalement, le développement durable pose la condition de la pérennité de l’espèce humaine.

On le devine, à ce point de la réflexion se dessine les contours d’une question épineuse : qu’est-ce qu’un déchet absolu ? Car un déchet considéré comme absolu au temps t ne le sera peut-être plus en t+1 justement à cause de l’innovation technologique ! Par exemple, il est possible que les déchets nucléaires puissent fournir la matière première d’un processus industriel futur. Dans ce cas, le paradigme actuel est viable, tout ne serait que question de temps. Certes, mais n’est-ce pas un jouer à un jeu dangereux que de tout miser sur l’avenir ? Quid si une catastrophe majeure se produit et que nous ne disposons toujours pas des outils technologiques pour la contrôler, voir l’anticiper ?

Dans la même veine coule un autre débat : les organismes que l’ont qualifie de « naturels », créant de fait l’exclusion de l’espèce humaine de cette catégorie, produisent t-ils des déchets absolus ? J’observe que c’est une croyance très répandue du grand public que de croire que la nature est inoffensive et qu’en quelque sorte, seul l’être humain soit capable de mettre la pérennité de la vie en danger ce qui n’est qu’une version redondante de la conception occidentale de « l’être humain seul  être en dehors de la nature ». Dans cette perspective, les plantes, les animaux, à la différence des humains seraient résilients et ne produiraient pas de déchets non-recyclables pour une autre espèce ; sans l’homme, dame Nature connaîtrait équilibre et harmonie, seule notre espèce serait capable de tout foutre en bordel. Je n’ai pas la réponse à cette question, biologistes et économistes doivent travailler main dans la main pour y apporter réponse. Néanmoins, permettez que je vous interpelle: les vaches ne rejettent-elles pas du méthane au même tire que les plantes rejettent du dioxyde de carbone ?

Dans le cas où végétaux et animaux ne joueraient pas en permanence avec leur survie, il ne nous resterait qu’à adopter leur mode de fonctionnement pour redéfinir notre paradigme économique et assurer notre survie, notre salut. Dans le doute, et vu les enjeux, une application saine du principe de précaution ne réclamerait-elle pas que la volonté politique s’oriente vers des politiques de suppression des déchets dans chaque processus économique ? Le problème, on le voit, est que la démocratie est un système qui subit trop facilement la dictature du court terme. Il hypothèque l’émergence d’une volonté politique sur le long terme. Réussir la transition écologique exige de réformer notre système  institutionnel pour que le politique dispose d’incitant rationnels forts à orienter les marchés vers l’économie durable. Je ne vois qu’un moyen d’y parvenir : soumettre le politique à une chartre de responsabilité écologique soumise à l’assentiment populaire. Autre solution : légitimer des politiques impopulaire en se référent à la volonté politique contraignante d’un organisme supranational ( l’Europe par exemple…). D’autre part, à moins de nous en retourner dans nos cavernes (ce que prône à peu de chose près la mouvance écologique radicale), la transition écologique passe forcément par l’innovation technologique car je vois mal sur quel autre mécanisme nous pourrions nous appuyer pour verduriser nos processus industriels.

Enfin, et surtout, je me demande si tout n’est pas question de mesure. Si 200 vaches rejettent du méthane dans l’atmosphère, je suis convaincu que la résilience de la biosphère est suffisante. En revanche, je ne suis pas persuadé que ce constat s’applique à 6 MILLIARDS de vaches. Voyez-vous où je veux en venir ? L’humanité est en demeure de se poser cette question : ne sommes-nous pas trop nombreux sur cette terre ? Difficile de faire plus explosif. il est grand temps que le débat soit mis sur la table à l’ONU. Les occidentaux qui ont pillés toutes les ressources de la planète et qui sont responsable de trois-quarts des émissions historique des gaz à effet de serre, mais aussi de la destruction des écosystèmes (pêche industrielle par exemple), seront bien en mal de refuser à l’Afrique qui connaît une explosion démographique et économique dans certaine des ses régions et à l’Asie, d’accéder au même niveau de vie qu’eux. La solution au problème démographique, et donc écologique, est nécessairement globale. Sa gestion pacifique ne peut qu’impliquer un new deal Nord-Sud : une répartition plus équitable des richesses en contrepartie d’une politique de natalité contraignante. Enfin, et çà me désole de conclure sur une note aussi pessimiste : qu’adviendra t-il si la raréfaction des ressources naturelles, conséquences accélérée d’une mauvaise prise en compte du défi écologique, aboutissait à une guerre d’hégémonie ?

La crise est multiple : écologique (destruction des écosystèmes), démographique (surpopulation), technologique (technologies vertes), politique (déficit de gouvernance), économique (banques), sociale (problème nord-sud). Chacune de ses dimensions est une composante de l’équation dont il nous faut trouver la solution.